Eileen se sentit responsable du malaise de Walter, clairement visible avec le rouge sur son visage. Il rougissait énormément, c’était même un peu mignon. Vraiment, elle se savait très, très inconfortable autour d’inconnus mais lui, il la battait à plate couture. C’était un peu dommage, parce que d’après ce qu’elle avait pu observer, les quelques fois qu’ils s’étaient parlé, il était bien sympathique. Très timide, mais très sympathique. Ça devait être difficile, cet inconfort maladif. Au moins, il semblait s’en tirer assez bien, c’était surtout ça le plus important à ses yeux.

Il était nerveux, elle le voyait malgré le petit sourire qu’il venait de lui offrir. Elle aurait dû penser à ce qu’elle allait dire avant d’ouvrir sa bouche, lorsqu’elle s’était réveillée. Il allait forcément penser qu’elle n’était qu’une perverse qui l’attaquerait pour le déshabiller à n’importe quel moment. Heureusement pour elle, ses idées n’étaient pas dans ce sens, dans le moment. De toute manière, Walter était un jeune homme très mignon et très gentil, mais pas son genre à elle. Et même après avoir bu quelques verres, la jeune femme n’avait pas l’habitude de sauter sur les hommes comme une obsédée.

22 heures… Décidément trop tard pour son travail et puis elle n’était probablement pas en état d’écrire des phrases intelligentes. Un soupir s’échappa d’entre ses lèvres, tandis qu’elle se massait toujours le cou, en constatant ses options. Elle pouvait toujours s’en aller rejoindre son lit, même si elle doutait fortement pouvoir dormir après cette longue sieste. Sinon… Elle pourrait rester à la bibliothèque et faire semblant de travailler. Ça semblait être une bonne idée. Jusqu’à ce qu’elle se fatigue à nouveau et puisse finalement aller rejoindre son lit. Sortie de ses pensées par le mouvement de Walter, la blonde leva les yeux, regarda un peu la main qu’il lui offrait et hocha finalement la tête. Dormir n’importe où qui n’était pas son lit n’était pas une bonne idée. La demoiselle prit sa main et se donna une poussée pour se relever sur ses pieds.

« Merci, Walter. T’es sympa, toi. Je te jures, j’ai pas l’habitude de dormir ici, mais j’étais crevée. Parfois, je tombe endormie n’importe où, mais ici, c’était une première! » dit-elle, consciente qu’elle déblatérait légèrement.

Ne relâchant pas tout de suite sa main, Eileen se rapprocha encore un peu de lui, en levant la tête pour le regarder. Souriant grandement en relâchant finalement sa main, Eileen lui toucha un peu le haut du bras, près de l’épaule, comme si elle essayait de le rassurer. Elle n’était pas trop certaine de si c’était le bon geste, mais elle avait lu un truc sur le langage corporel dans un livre et ça lui semblait approprié.

« J’suis désolée de te mettre inconfortable. Toi tu me mets même pas inconfortable! Je sais que je suis bizarre alors ça me dérange pas trop si t’es pas à l’aise avec moi… » dit-elle, avant de lui faire un sourire sincère.

Après tout, c’était peut-être juste parce qu’elle était particulièrement anormale qu’il était inconfortable. Elle avait l’habitude, ce n’était vraiment pas la fin du monde. Même les gens sans aucun problème côté timidité, elle les mettait inconfortables sans faire par exprès. Regardant un peu sur le sol pour retrouver son cahier de notes, l’Irlandaise s’en alla vers le bout de la rangée, où selon ses souvenirs, elle l’avait laissé.

« Alors, t’étais en train de faire un travail…? Où tu lisais pour le plaisir? Tu voulais peut-être faire la sieste et je t’ai piqué ton coin? » demanda-t-elle en ramassant le cahier sur le sol.

C’était évidemment une blague, elle se doutait qu’il n’était pas du tout du genre à faire la sieste dans des endroits publics. En fait, il n’était probablement pas du genre à faire la sieste tout court. Peu importe, elle se retourna à nouveau vers lui, en serrant son cahier de notes contre sa poitrine. Il était trop grand, ça n’allait pas du tout avec son visible inconfort social et ça n’allait pas non plus avec le fait qu’il était hyper discret. Enfin c’était un peu comme elle. Elle était plutôt grande pour une fille, mais se fondait dans le décor dès que c’était possible. Le monde était mal fait, voilà ce qu’il fallait en déduire.

Bien qu’Eileen ait remarqué que le pauvre Walter semblait sur le point de la crise d’anxiété lorsqu’elle s’était approchée de lui, la blonde avait décidé d’ignorer le tout. Peut-être que le truc c’était de faire comme si elle ne remarquait pas à quel point il était mal? Ça ne semblait pas être très probable, mais ça valait la peine de tout essayer. Quoiqu’elle devait s’avouer que de mettre quelqu’un aussi inconfortable la mettait elle-même mal à l’aise. Ils étaient décidément mal barrés pour tout ce qui concernait les relations sociales.

Un sourire vint étirer ses lèvres à l’explication que l’étudiant lui donna, comme si ça la rassurait de savoir qu’elle n’était pas la seule personne à le mettre dans cet état. Et aussi parce qu’il avait dit ne pas vouloir la déranger et que sans trop savoir pourquoi, elle était attendrie. En fait si, elle savait pourquoi. Personne ne s’inquiétait trop d’elle, ce n’était pas comme si elle avait de la famille et des dizaines d’amis qui la voyaient régulièrement et qui s’inquiétait de son bien-être. Ça faisait des années qu’elle avait vu ses parents et elle pouvait compter ses amis sur les doigts d’une seule main. Puis lui, qu’elle ne connaissait pas énormément, disait qu’il ne voulait pas la déranger et ça la faisait sentir comme s’il s’inquiétait sincèrement d’elle. C’était dépaysant, mais pas déplaisant. Ça lui rappelait un peu lorsqu’elle était adolescente et que son frère s’occupait d’elle. C’était un sentiment très agréable.

Alors qu’elle cherchait toujours pour son cahier dans l’allée plus ou moins éclairée, elle ne put s’empêcher de sourire grandement à la réponse de Walter quant à ce qu’il faisait là. Le chanceux! C’était l’emploi d’étudiant rêvé! Ou du moins, l’emploi rêvé de l’étudiant éprouvant des difficultés au niveau social. Elle aurait tué pour avoir cet emploi. C’était exactement ce dont elle avait besoin. Un contact minimum avec des étrangers, une atmosphère tranquille et assez reposante… Eileen se sentit jalouse à ce moment-là. C’était un sentiment qu’elle connaissait bien, mais qu’elle n’aimait pas du tout.

« T’es chanceux! C’est le genre d’emploi que j’aimerais bien avoir. Tous mes plans pour me débarrasser se la personne occupant le poste vont maintenant à l’eau, cependant… » dit-elle, en lui adressant un clin d’œil.

La suite se déroula rapidement, un peu trop rapidement pour que ses yeux et sa tête assimilent la situation. Il allait parler, mais ses yeux n’étaient plus sur elle, ils regardaient derrière. La demoiselle s’apprêtait à se retourner pour voir ce qui retenait son attention, mais fut plutôt surprise par le Todhchai qui l’agrippa par le bras pour l’attirer vers lui. Quelque chose lui échappait, c’était la seule raison pour laquelle il la collerait contre lui ainsi. Heureusement pour elle, son explication vint dans les mêmes secondes avec le sort qu’il lança et en voyant les livres glisser contre le bouclier magique, pour tomber sur le sol. Eileen tourna la tête juste au bon moment pour voir la petite fée maléfique s’en aller. Oh là! Elle avait essayé de les tuer avec tous ces bouquins! Il aurait simplement fallu qu’un d’eux lui tombe sur la tête pour lui défoncer le crâne! L’étudiante leva les yeux vers Walter, acquiesçant de la tête à sa façon de désigner l’Unseelie, et se décollant de lui. Quelle… rapidité! Il avait un temps de réaction à tout casser!

« Merci Walter. Je ne l’ai même pas entendue, ces bouquins m’auraient écrasée. » dit-elle en le regardant commencer à tout ramasser.

Elle n’allait certainement pas rester là à rien faire alors qu’il venait de lui sauver la vie! La jeune femme se mit aussitôt à ramasser les ouvrages, les empilant soigneusement les uns sur les autres, comme lui-même faisait. C’était de vraies pestes, ces bestioles! Il avait peut-être passé une éternité à tout placer et elles venaient tout détruire, juste comme ça, pour le plaisir. La Ceart l’imitait, plaçant les livres comme lui-même le faisait, en espérant que ça ne le dérange pas trop que cette fée ait détruit la pile.

« Elles viennent dans la biblio souvent pour y mettre le désordre…? C’est un peu dangereux, mhm… » dit-elle en se redressant.

Les manuscrits et autres ouvrages semblaient tous avoir retrouvés un endroit plus approprié que le sol. Elle doutait sincèrement qu’ils soient rangés dans un ordre, mais au moins ils ne traînaient pas. De toute manière, ce n’était probablement pas les livres les plus consultés dans toute la bibliothèque.

Les Seelies, elle aimait bien les voir. Elles étaient mignonnes, agréables, pleines de bonnes intentions et utiles. Parfois, elle aimait bien aller dans les jardins et regarder les petites fées et les fleurs, toutes aussi colorées les unes comme les autres. Évidemment, il fallait bien qu’elles aient une contrepartie, c’est-à-dire leurs consœurs vilaines et désagréables. Elles lui fichaient la trouille, ces Unseelies! À deux reprises, elle s’était fait attaquer par ces petites pestes, ici-même, sur le campus! Elles étaient déplaisantes et même si les attaques l’avaient mise en colère, elles ne l’avaient pas blessée, mais là, ça devenait un peu trop effrayant à son goût. Qu’est-ce qui se serait passé si elle avait toujours été en train de dormir sur le sol, juste là…? L’idée lui donna un frisson, tandis qu’elle acquiesçait de la tête aux paroles de Walter. Jusqu’à ce qu’il lui dise qu’il était désolé et que ça ne devait pas lui laisse un bon goût à son sujet. Ce n’était pas comme ça! Il venait de la sauver, ce n’était pas lui qui l’avait mise en danger!

« Comme tu dis, elles sont partout sur le campus, la bibliothèque n’est pas épargnée! T’as pas à être désolé, grâce à toi, je ne suis pas morte écrasée sous une piles d’ouvrages poussiéreux. » dit-elle en lui offrant un sourire sincère.

Ce garçon, il avait besoin de se faire complimenter plus ou du moins, de quelqu’un pour lui faire remonter l’estime de temps à autres. Elle qui était timide, bizarre et pleine de contradictions savait tout de même reconnaître lorsqu’un accident était de sa faute ou non. Elle savait prendre le blâme pour les problèmes qu’elle causait, mais elle ne s’en faisait pas trop pour les choses hors de son contrôle. Elle angoissait déjà suffisamment avec ses propres difficultés, son corps et son esprit ne seraient probablement pas capables de supporter qu’elle se considère responsable de tout malheureux évènement. Lui cependant… La blonde le regarda placer quelques livres sur une des étagères, en se demandant si ça lui arrivait de ne pas être inconfortable. Si certaines personnes pouvaient le voir complètement détendu. Peut-être qu’il était différent avec sa famille. Du moins, elle lui souhaitait parce que sinon, son existence serait longue. Elle se donnait des moments de répit parfois, soit en prenant un verre ou en trouvant quelqu’un d’autre à la recherche de divertissement, parce que sinon, elle était certaine de faire une crise et de finir légume. Enfin, c’était ce qu’elle pensait. Il devait forcément se trouver des moyens de décompresser lui aussi.

Ses yeux toujours posés sur le grand noiraud, Eileen remarqua du coin de l’œil qu’il fouillait dans sa poche et qu’il en ressortit deux clés. Elle lui offrit un sourire, même si elle n’avait aucune idée de ce à quoi elles pouvaient servir. Il lui en offrit une et elle la pris de sa main, le contact bref avec sa paume chaude du Todhchai lui rappelant qu’elle avait froid. Son explication vint ensuite et si elle ressentait un peu d’affection envers lui auparavant, maintenant il se trouvait dans ses personnes favorites. Il lui faisait confiance, il lui donnait un truc super important! Elle allait devoir garder cette clé avec chaque fibre de son être! Levant de grands yeux, pleins d’admiration vers son nouveau meilleur ami, l’Irlandaise dit d’une voix remplie d’émotion :

« J’y ferai très attention. Personne d’autre n’aura le droit d’y toucher, je te le promets. Je la garderai toujours avec moi, elle ne me quittera jamais! Tu ne regretteras pas de me faire confiance, Walter! »

La jeune femme serrait la clé de ses deux mains, un enthousiasme assez difficile à ignorer sur son visage. Dire qu’elle allait pouvoir aller voir des ouvrages auxquels personne d’autre n’avait accès! Ça la faisait sentir spéciale. Le bon genre de spécial. Elle était suffisamment importante à ses yeux pour qu’il lui donne cette clé. Eileen la mit temporairement dans sa poche, vint détacher la chaîne argentée qui ne quittait jamais son cou, puis elle reprit la clé et la glissa sur celle-ci. Voilà, elle serait bien en sécurité à cet endroit. Relevant à nouveau la tête vers lui, la demoiselle ne s’empêcher de se rapprocher et de venir lui donner un câlin, sans avertissement. Elle se serra contre lui, en espérant ne pas lui donner de crise cardiaque et se décolla aussitôt, satisfaite de la courte étreinte.

« Ça veut dire qu’on est des amis. Je serai une très bonne amie, j’essayerai d’être toujours là pour toi. J’ai pas l’habitude, alors tu devras être patient. » dit-elle, avec le même enthousiasme.

Elle se retenait de sautiller de joie. Peut-être qu’elle devait aussi lui offrir quelque chose en échange…? Elle n’avait rien à lui offrir! Elle allait devoir remédier à ce problème dès que l’occasion se présenterait. S’il fallait qu’elle perde son nouvel ami rapidement, ce serait le désastre.